31 de julho de 2017

Ils disent que le temps mourra bientôt...

The court of Sayf al-Dawla, ruler of the Hamdanid dynasty, in the years before Al-Ma’arri’s birth

Morceaux d'un journal de 16655


Le 2 septembre 1665
On parle souvent du mal de mer, et rarement du mal des montures, comme s’il était moins dégradant de souffrir sur le pont d’un bateau que sur le dos mouvant d’une mule, d’un chameau ou d’un canasson.
C’est pourtant de cela que je souffre depuis trois jours, sans toutefois me résoudre à interrompre le voyage. Mais j’ai très peu écrit.
Nous avons atteint hier soir la modeste ville de Maarra, et c’est seulement à l’abri de ses murs à moitié écroulés que je me suis senti revivre, et que j’ai retrouvé le goût du pain.
Ce matin, j’étais partir flâner dans les ruelles marchandes, lorsque se produisit un incident des plus étranges. Les libraires d’ici ne m’avaient jamais vue, aussi ai-je pu les interroger sans détour au sujet du Centième Nom. Je n’ai récolté que des moues d’ignorance – sincère ou feinte, je ne sais. Mais devant la dernière échoppe, la plus proche de la grande mosquée, alors que je m’apprêtais à rebrousser chemin, un très vieux bouquiniste, à qui je n’avais encore pour placer un livre dans mes mains. Je l’ouvris au hasard, et – par une impulsion que je ne m’explique toujours pas – je me mis à lire à voix claire ces lignes sur lesquelles mes yeux étaient tombés en premier :
Ils disent que le Temps mourra bientôt
Que les jours sont à bout de souffle
Ils ont menti.
Il s’agit d’un ouvrage d’Abou-l-Ala, le poète aveugle de Maarra. Pourquoi cet homme l’a-t-il posé ainsi dans mes mains ? Pourquoi le livre s’est-il ouvert justement à cette page ? Et qu’est-ce qui m’a poussé à en faire lecture au milieu d’une rue passante ?
Un signe ? Mais quel est donc ce signe qui vient démentir tous les signes ?
J’ai acheté au vieux libraire son livre ; sans doute sera-t-il, au cours de ce voyage, le moins déraisonnable de mes compagnons.
[...]

Le 29 septembre 1665
Je butine de temps à autre quelques vers au hasard dans ce livre d’Abou-l-Ala, qu’un vieux libraire de Maarra posa dans mes mains il y a trois ou quatre semaines. Aujourd’hui, j’ai découverts ceux-ci :
Les gens voudraient qu’un imam se lève
Et prenne la parole devant une foule muette
Illusion trompeuse ; il n’y a pas d’autre imam que la raison
Elle seule nous guide de jour comme de nuit.
Je me suis empressé de les lire a Maïmoun, et nous avons eu, en silence, des sourires complices.
Un chrétien et un juif conduits sur le chemin du doute par un poète musulman aveugle ? Mais il y a plus de lumière dans ses yeux éteints que dans le ciel d’Anatolie.
Amin Maalouf, Le Périple de Baldassare (Paris : Grasset, 2000, pp. 62-63, 100)

2 comentários:

  1. Ainda não li A. Maalouf, mas hei de ler...

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  2. Livros que nos vêm parar às mãos e nos trazem questões interessantes... Mais uma sugestão de Maalouf a seguir!

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