Du temps où j'avais encore un état civil...
Hier, nous
nous promenions, ma petite fille et moi, au jardin d'Accli-matation
et nous arrivâmes, par hasard, en bordure de ce manège. Trente-trois
ans avaient passé. Les bâtiments en brique des écuries où se réfugiait mon
père n'avaient certainement pas changé depuis, ni les obstacles, les barrières
blanches, le sable noir de la piste. Pourquoi ici plus que dans n'importe quel
autre endroit, ai-je senti l'odeur vénéneuse de l'Occupation, ce terreau d'où
je suis issu ?
Temps
troubles. Rencontres inattendus. Par quel hasard mes parents passèrent-ils le
réveillon 1942, au Beaulieu, en compagnie de l'acteur Sessue Hayakawa et de sa
femme Flo Nardus ? Une photo traînait au fond du tiroir du secrétaire, où on
les voyait assis à une table, tous les quatre, Sessue Hayakawa, le visage aussi
impassible que dans Macao, l'Enfer du Jeu,
Flo Nardus, si blonde que ses cheveux paraissaient blancs, ma mère et mon père,
l’air de deux jeunes gens timides... Ce soir-là, Lucienne Boyer se produisait
au Baulieu en vedette, et juste avant qu'on annonçât la nouvelle année,
elle a chanté une chanson interdite, parce que l'un de ses auteurs était
juif :
« Parlez-moi d’amour
Redites-moi
Des choses
tendres… »
Depuis, Sessue Hayakawa a disparu. Que faisait, à Paris, sous l'Occupation, cette ancienne vedette japonaise d'Hollywood ?
Patrick Modiano,
Livret de famille, 1977
[Romans : Quarto Gallimard, 1973, 325-326]
Um autor que desconheço, mas que já me desoerta vontade de o ler, com este tom intimista enostálgico em que se expresssa....
ResponderEliminarComment peut-on dire tant dans si peu de lignes? J'aime Modiano!
ResponderEliminarLa génialité et l'art des poètes...
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