10 de outubro de 2019

O rinoceronte de Albrecht Dürer

RHINOCERUS
Albrecht Dürer, 1515
[British Museum, London]

       Complètement faux et tout à fait juste       

Dürer pose le bec de sa plume sur le papier. Suivant la description de Hildegarde, au lieu de lui faire une peau épaisse, il enrobe le pachyderme de plaques, un peu comme s’il portait une armure. On dirait même que les plaques sont renforcées par des rivets !
Dürer reprend sa respiration, trempe sa plume dans la bouteille d’encre de Chine et continue son œuvre. Il décide de recouvrir les quatre pattes avec des écailles. Comme s’il s’agissait d’un dragon. Même si c’est inventé et que depuis la fin du Moyen Âge plus personne ne croit en l’existence des dragons, ce détail renforcera le sentiment de puissance.
– J’aime beaucoup, commente Hildegarde.
Avant de dessiner la queue, Dürer questionne la jeune femme. Comment était-elle ? Avec stupeur, l'ancienne bonne réalise qu’elle n’a pas prêté attention à ce détail. Elle n’a jamais vraiment regardé la queue du rhinocéros !
– Je vais le doter d’une queue d’éléphant.
– Justement, sourit l’artiste. Il possédera une partie de son adversaire. Comme un trophée. Et puis ça résumera le combat entre les deux pachy-dermes pour le titre d’animal le plus fort du monde.
La lumière commence à décliner. Le soleil de novembre n’est pas très généreux. Et le travail à la bougie rebuste Dürer : il souhaite préserver sa vue, c’est-à-dire son bien le plus précieux. Tandis que Hildegarde contemple le résultat avec émerveillement, l’artiste nettoie sa plume soigneusement, puis la dépose dans son boîtier.
Mais, au moment de quitter l’atelier une idée jaillit dans son esprit. Il retourne aussitôt à la table afin d’ajouter une deuxième petite corne sur la nuque. Torsadée et effilée, elle ressemble à une corne de licorne en miniature.
– Pourquoi avez-vous fait ça, maître Albrecht ? Je vous assure que le rhinocéros de Lisbonne n’a qu’une seule corne. Sur le nez. Tous les témoignages concordent...
– Tu m’as dit que, durant quelques jours, les gens ont cru qu’il s’agissait d’une licorne. Ça parle de notre époque.
Hildegarde n’est pas convaincue et voudrait que Maître Albrecht retire ce détail.
– Le dessin est achevé, décrète Dürer.


Eugène, Ganda (Genève: Slatkine, 2018, 157-158)

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