15 de janeiro de 2019

I think I'm trapped in a novel...

« Il y a des interprètes partout. Chacun parle sa langue même s'il connaît un peu la langue de l'autre. Les ruses de l'interprète ont un champ très ouvert et il n'oublie pas ses intérêts. »
DERRIDA

La vie n'est pas un roman...

    À Bologne, il couche avec Bianca dans un amphithéâtre du XVIIe et il échappe à un attentat à la bombe. Ici, il manque de se faire poignar-der dans une bibliothèque de nuit par un philosophe du langage et il assiste à une scène de levrette plus ou moins mythologique sur une photocopieuse. Il a rencontré Giscard à l'Élysée, a croisé Foucault dans un sauna gay, a participé à une poursuite en voiture à l'issue de laquelle il été victime d'une tentative d'assassinat, a vu un homme en tuer un autre avec un parapluie empoisonné, a découvert une société secrète on coupe les doigts des perdants, a traversé l'Atlantique pour récupérer un mystérieux document. Il a vécu en quelques mois plus d'événements extraordinaires qu'il aurait pensé en vivre durant toute son existence. Simon sait reconnaître du romanesque quand il en rencontre. Il repense aux surnuméraires d'Umberto Eco. Il tire sur le joint.
    « What’s up, man ? »
   Simon fait tourner le joint. Défile dans sa tête sans qu’il puisse l’arrêter. Défile dans sa tête sans qu’il puisse l’arrêter le film des der-niers mois et, comme c’est son métier, il en dégage les structures narratives, les adjuvants, les opposants, la portée allégorique. Une scène de cul (acteur), un attentat (bombe) à Bologne. Un attentat (coupe-papier), une scène de cul (spectateur) à Cornell. (Chiasme.) Une poursuite en bagnole. Une réécriture du duel final d’Hamlet. Le motif récurrent de la bibliothèque (mais pourquoi pense-t-il à Beau-bourg ?). Les couples de personnages : les deux Bulgares, les deux Japonais, Sollers et Kristeva, Searle et Derrida, Anastasia et Bian-ca… Et surtout, les invraisemblances : pourquoi le troisième Bulgare a-t-il attendu qu’ils comprennent qu’une copie du manuscrit était restée chez Barthes pour aller fouiller l’appartement ? Comment Anastasia, si c’est un agent russe, est-elle parvenue à se faire affec-ter, aussi rapidement, dans l'aile de l'hôpital où était Barthes ? Pour quelle raison Giscard n’a-t-il pas fait arrêter Kristeva pour la confier à l’une de ses officines qui l’aurait torturée jusqu’à ce qu’elle parle, plutôt que de les envoyer aux USA, Bayard et lui, pour la surveiller ? Comment se fait-il que le document était en français et pas un russe ou un anglais ? Qui la traduit ? 
   Simon se prend la tête entre les mains en poussant un gémisse-ment.
    « Je crois que je suis coincé dans un putain de roman.
    − What ?
    − I think I'm trapped in a novel. »
    L’étudiant à qui il s’adressese renverse en arrière, souffle vers le ciel la fumée de sa cigarrettte, regarde les étoiles filer dans l’éther, boit une gorgée de bière au goulot, s’appuie sur un coude, laisse planer un long silence sur la nuit américaine et dit : « Sounds cool, man. Enjoy the trip. »

Laurent Binet, La septième fonction du langage (Paris: Grasset, 2016, 7, 9 & 347-348)

2 comentários:

  1. Um enredo absolutamente engenhoso e apelativo! Mais um autor a descobrir...

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  2. Teresa Salvado de Sousa23 de janeiro de 2019 às 20:57

    Gosto imenso do livro. Ideia de enredo, construção romanesca, cultura, humor, para mim uma delícia. Acrescento que me obrigou a reler os clássicos da linguística.

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