Quand les livres parlent de livres

    Лев Толстой, Война и мир — William Shakespeare, King Lear       

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HISTOIRES DE LIVRES

Première: Léon Tolstoï, Guerre et Paix 

Le libraire Vollard aimait raconter l’histoire de cet homme, gardé en otage plusieurs années durant, au Moyen-Orient, par un groupe politico-religieux et qui trouve, par le plus grand des hasards, dans un recoin, le trou puant d’une cellule, le tome II de Guerre et Paix, froissé et moisi, mais traduit dans sa propre langue. Un livre aussi mal en point que lui. A partir de cet instant, pour lui, quelque chose change. Tout change. Un soulagement immense lui vient de ces centaines de feuilles de papier à peine reliées les unes aux autres et grâce auxquelles il reprend goût à la vie.

Seconde: William Shakespeare, Le Roi Lear

Vollard racontait aussi l’histoire de cette femme, condamnée à l’obscurité totale d’une geôle soviétique et qui avait gardé en mémoire une pièce de Shakespeare, apprise par cœur dans sa jeunesse. Devenu aveugle, vouée à l’isolement qui rend fou, elle se récite Le Roi Lear en anglais, intégralement. Lentement, une lumière se fait dans sa nuit. Elle voit le livre, elle voit le texte. Elle le lit. Elle tourne mentalement les pages. Elle le voit si bien, ce livre qu'elle avait acheté dans une petite boutique quand elle était étudiante, qu’elle entreprend de le traduire en russe, dans le noir, pour elle seule, pour rien, pour que quelque chose d'humain subsiste malgré tout. Elle feuillette mentalement sont vieil exemplaire d’étudiante, au cours d'une hallucination extrêmement précise. Et cherchant le terme exact, la musique, l'accord, elle traduit, sans encre ni papier, dans cette attente de la mort.

Pierre Péju, La petite Chartreuse